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Au coeur de la ville
6 décembre 2011

Voyage en Grèce

J'ai abandonné mon blog un bon moment à cause de ce long voyage, aussi pour compenser je vous balance à la figure mon carnet de voyage. Attention, c'est un gros pavé destiné à ceusses-là qui ont du temps à perdre ; en échange, ils gagneront, peut-être, l'envie de (re)découvrir ce pays magnifique ; en tout cas je l'espère.

Bon voyage !

Acropolis adieu !

A chaque rencontre les salutations fusent à grand renfort de « kaliméra » ; moi, qui joue si souvent le caliméro, je suis démasqué d’entrée… J’adore cette langue, même si je n’y comprends rien. Pour Clo, c’est de l’italien, sonore et chantant, dégoulinant de voyelles, mais un italien que l’on ne comprendrait plus, même s’il a gardé toute sa chaleur. Pour ma part, je trouve cette langue chantante, certes, mais plus rocailleuse pour ne pas dire étrange avec pourtant avec quelque chose de familier. Vous savez, comme si l’on retrouvait un lointain cousin avec un air de famille indéniable. Quelque part dans mon patrimoine génétique doit résonner comme une résurgence de mes origines oubliées, un petit quelque chose de grec dans mon arbre à ancêtres, un marin phocéen ou un danseur de sirtaki, sûrement. Bizarrement, alors qu’un alphabet, totalement inconnu et placardé à tous les coins de rue, aurait plutôt tendance à me déstabiliser, comme au Japon, par exemple, où on peut même s’offrir de beaux moments d’inquiétude ou de doute face à la barrière totale de la langue ; ici, ces inscriptions énigmatiques me font plutôt sourire, comme si l’on venait de m’offrir un nouveau jeu à résoudre.

Bref, à priori, j’aime bien la Grèce, même si c’est la première fois que j’y mets les pieds. On m’avait prévenu : « tu vas être déçu, tout est en ruine… ». Donc pour rester dans la note, à peine quitté l’aéroport, nous filons direction Corinthe en faisant, peu avant, un détour pour visiter le temple d’Héra. Ce sanctuaire, à l’Héraion de Pérahora, est effectivement très en ruines et vaut surtout par son emplacement magnifique et paisible au bout d’un petit cap rocheux mangé par les pins et les millénaires. Une crique minuscule abritant un port antique, une eau transparente et joueuse ; la déesse devait aimer se baigner ici. L’avion est déjà oublié, nous sommes dans un autre monde, loin de tout. Un monde seulement peuplé de cigales apparemment très en forme pour un mois d’octobre. Un grand lac marin, relié juste par un petit chenal à la mer si proche, retient nos pas ; les pieds dans l’eau comme hésitant à se baigner, un échantillon d’église absolument délicieux, murs blancs et toit bleu clair, se reflète dans cette eau limpide. Un petit moment de grâce que l’on ne trouve pas dans les guides mais au hasard de la ballade et c’est déjà toute la Grèce qui s’offre ainsi.

Par contre, ce qui est dans les guides, c’est plus loin, incontournable, cet isthme de Corinthe. Mais, ne faisons pas la fine bouche, l’endroit est saisissant même s’il faut le partager avec des boutiques de souvenirs et des sauteurs à l’élastique. Aussi, je préfère imaginer que Héphaïstos, lui-même, a forgé une hache démesurée, dans les flammes de je ne sais quel enfer pour s’attaquer à ce travail insensé consistant à découper un pays en deux. Dans cette entaille titanesque des cargos se faufilent comme un fil dans le chas d’une aiguille ; déjà qu’un chameau, ce n’est pas gagné parait-il, alors un cargo !

La route continue au milieu des oliviers, des collines d’oliviers, des montagnes d’oliviers, d’un océan d’oliviers et nous arrivons ainsi à Nauplie où nous nous couchons tôt car le lever fut du même métal et remettons la visite aux calendes grecques. Bonne nuit !

Départ pour Mycènes ; même en cette saison dite basse, se présenter sur les sites dès l’ouverture est un conseil à respecter impérativement et valable pour tous les sites, du moins majeurs à venir, donc je ne le dirai plus et ne répéterai pas, à chaque fois, le plaisir ineffable qu’il y a à être seul dans ces cadres privilégiés et romantiques (enfin je vais essayer). En bons gourmands nous commençons par la cerise sur le gâteau, ce qui est, paraît-il, le plus beau monument de Grèce, de la période préclassique en tout cas : le Trésor d’Atrée. Un tombeau, de taille colossale comme les affectionnaient tous les grands mégalos des temps passés, un assemblage en forme de ruche géante constituée de blocs souvent gigantesques qui n’ont rien à envier aux monuments mayas. Les mêmes blocs à l’entrée de l’acropole ou à la porte des lionnes laissent pantois. Comment faisaient-ils  ces gens des temps anciens pour déplacer des blocs que notre technologie peine à soulever ? D’ailleurs, il est surprenant de noter que plus on recule dans le temps plus la taille des blocs utilisés dans les constructions est colossale et inversement pour en arriver à nos parpaings d’aujourd’hui. Quand on regarde le gigantisme des murailles grecques, des temples mayas ou égyptiens, les mégalithes de Stone Hedge, on peut se demander si l’homme ne disposait pas de technologies aujourd’hui oubliées.

Pour en revenir à Mycènes, beaucoup de choses intéressantes, vraiment, mais aussi beaucoup de cailloux, en tas informes, qui ne doivent arracher un gémissement pâmé qu’à des archéologues passablement en manque. Pour ma part, je préfère m’enfoncer dans les siècles des siècles en imaginant un pâle reflet de ce monde disparu. L’histoire des Atrides a de quoi laisser songeur. Je vous la fait courte : ici, à Mycènes, Clytemnestre fit assassiner Agamemnon par son amant Egisthe, sous le prétexte futile qu’il avait sacrifié sa fille Iphigénie afin que la flotte grecque, qui s’en allait vers Troie récupérer Hélène, la femme de son beau-frère Ménélas, bénéficie de vents favorables. Oreste, son fils, estimant effectivement que le prétexte ne tenait pas la route, et poussé par sa sœur Electre tua sa mère pour venger son père. Bon… N’oublions pas que le père d’Agamemnon,  Atrée, furieux contre son jumeau, coupable d’adultère tua ses trois fils et les lui fit servir en ragout lors d’un banquet funeste, avant que son frère ne le tue à son tour. Belle famille ! Pour l’anecdote rappelons que Clytemnestre avait pour sœur la Belle Hélène et que les fameux Castor et Pollux étaient leurs frères. Tout ceci pour dire, en dehors du côté sanglant de l’affaire,  qu’on a tous ancré en nous quelque chose des mythes grecs. De quoi alimenter les rêveries d’un promeneur de moins en moins solitaire au fur et à mesure que les touristes arrivent. Je m’attache aussi à la contemplation de ces paysages grandioses ; les architectes des temps passés avaient le sens de l’esthétisme et n’hésitaient pas à s’installer dans des lieux écrasant de beauté (’administration de l’époque devait être nettement moins contraignante). Nous partons, alors que le flot des visiteurs se fait sentir pour retrouver calme et sérénité dans un site dit mineur : le castro d’Argos. Les chevaliers Francs, grands bâtisseurs, eux aussi, partageaient avec les anciens grecs le même sens de l’esthétique pour poser leurs murailles dans des lieux tout aussi grandioses. A Larissa, nous ne sommes pas déçus, la plaine se précipite devant nous pour se jeter dans les flots bleus là-bas, alors qu’au premier plan, les toits d’Argos inondés de soleil composent une mosaïque géante.

Dans un site encore plus grandiose, nous tutoyons le sublime en surplombant la baie de Nauplie ; la forteresse Palamède (fin XVIIIème) nous conforte dans ce sentiment que les architectes militaires, s’ils aimaient bien faire couler le sang appréciaient au plus haut point la beauté des lieux, eux aussi, comme pour se purifier des mauvaises pensées qui les poussent à multiplier traquenards et embûches sur la route des touristes indésirables de leur époque. Cette forteresse regorgeant de bastions tourmentés prend ses racines dans l’encre impénétrable et noire de cette mer métallique sous un soleil d’airain. Une forteresse imprenable, inexpugnable paraît-il, on l’imagine sans peine, mais qui pourtant ne résista guère aux turcs. Il faut dire que l’architecte (français, la honte) revendit les plans à ces derniers. Oublions vite et perdons-nous dans cette belle ville de Nauplie où la flânerie s’impose, notamment si vous êtes à deux car cette ville est la cité de l’amour pour les grecs, la balade se finit sous les œillades de la lune ronde et complice se reflétant dans la baie.

Niché dans un vallon de collines à la fois sauvages mais toujours douces, si particulières à l’Arcadie avec ses forêts de pins d’un vert clair comme l’enfance, Epidaure et son théâtre antique nous attend. Nous passerons la matinée à jouer au chat et à la souris avec les grondements de l’orage. Etre assis, seuls, dans cet hémicycle gigantesque et entendre l’approche menaçante du tonnerre et des éclairs, nous offre une ambiance mélodramatique digne de ce temple du théâtre. Une représentation pour nous seuls, à huis clos, de « drôle de drachme en Arcadie ». J’essaye mentalement de faire apparaître les 12 000 spectateurs qui se réunissaient ici. Les représentations duraient plus de six heures enchaînant tragédies et drames satyriques. Loin des jeux du cirque romains, ici, la culture prévalait, les plus pauvres touchaient même une allocation pour pouvoir assister aux spectacles. Du haut des gradins, je suis aspiré par ce cône de pierre, comme dans un entonnoir, par le flux des siècles et même les premières gouttes de pluies ne m’arracheront pas à cette vision d’une foule recueillie et attentive au verbe mais aussi aux chants, les chœurs étant un élément prépondérant des spectacles. Un avignonnais, même récent, est toujours réceptif à tout ce qui peut ressembler à un festival de théâtre.

Plus loin, encore des ruines nombreuses dans un cadre bucolique de pins, des ruines bien dévastées par des siècles de pillage, alors que le théâtre semblait lui ne pas avoir bougé depuis l’antiquité. Pourtant, il faut les parcourir, ces ruines, pour écouter ce qu’elles ont à raconter : l’histoire de cet Esculape, père de la médecine qui ouvrit ici le premier hôpital ; Hippocrate n’était qu’un de ses disciples et, dans le musée, une statue en marbre le représente avec son bâton ou s’enroulait un serpent, nos médecins aujourd’hui lui ayant emprunté leur caducée. Une histoire étonnante que celle d’Esculape mais je vais éviter de faire, de ce voyage, un cours d’histoire antique, sachez cependant qu’après sa mort, pendant des siècles, il a aussi été, ici, le promoteur d’une espèce de petit Lourdes à grand renfort de miracles ; mais quand on a une fille qui s’appelle Panacée, on peut être le champion du placébo.

Ensuite, nous revenons très vite à Nauplie pour nous reperdre dans ces ruelles au charme indéfinissable et aux maisons colorées, proche de l’Italie, apportées par ce vent du large qui souffle l’exotisme des mondes lointains. Nauplie, la belle, nous accapare comme une amante exigeante et nous succombons avec délices à ses charmes.

Nous quittons la ville pour suivre la mer vers le sud, à travers l’Arcadie encore. La route démarre à peine qu’à Lerne je suis sidéré de voir le prix de l’essence déjà élevé monter en flèche pour atteindre 1,829 le litre de sans plomb 95.  Pas étonnant qu’il y ait aussi peu de voitures sur les routes. La Grèce aurait bien besoin que le fameux Hercule réalise des prodiges pour la redresser. A Lerne donc, notre héros a coupé les têtes de l’hydre qui repoussaient pourtant aussi vite, la Grèce d’aujourd’hui aurait bien besoin qu’il coupe celles des spéculateurs, mais je crois qu’elles repousseraient encore plus vite. Bref, comme les enfants collectionnent les vignettes panini au moment des coupes du monde, j’ai l’impression de collectionner celles des 12 travaux du sus nommé Hercule ; hier, nous étions passé à Némée où il terrassa le fameux lion et la veille près du lac de Stymphale dont il éradiqua des oiseaux fort désagréables. Quelle sera la prochaine vignette ?

La route circule en balcon sur la mer dans une végétation qui se rabougrit pour déboucher à Léonidion sur une profonde vallée fertile. Ses habitants fort de leur richesse agricole refusent le tourisme (aucun hôtel) et préservent leur ville de ses méfaits. Nous en profitons pour arpenter des ruelles étroites où nous découvrons nos premières maisons toutes blanches. Puis la route s’élève dans la montagne, croise un monastère perché entre ciel et terre et nous conduit de l’autre côté de cette péninsule jusqu’à Githion notre prochaine étape où notre hôtel nous attend au bord de la mer, sous le soleil très exactement.

E in Arcadia égo

L’Arcadie tant heureuse comme la chantaient les poètes

Que puis-je en dire moi pauvre passant ?

L’Arcadie des montagnes et des anachorètes

Que puis-je en dire moi le mécréant ?

Le vert est sa couleur, les verts serait plus vrai

Le vert pastoral de ses riants pâturages

Celui si argenté de ses oliveraies

Celui âpre, clairsemé de ses monts sauvages

Celui sombre et presque noir de ses ifs pointus

Si nombreux, comme autant de points d’exclamation

L’anis fragile de cette ivraie qui pousse drue

Ou l’acidulé de ces pins venus de Sion

Un vert ingénu, si tendre, qu’il étreint le cœur

Un vert si fort qu’il rend la mer Egée turquoise

Un vert qui estompe toutes les autres couleurs

L’Arcadie, le berceau des amours villageoises

De l’innocence pastorale, des idylles bergères

Que puis-je en dire moi le citadin ?

L’Arcadie, pays utopique et des chimères

Que puis-je en dire moi le béotien ?

Ces vallées si riches traversées par l’Erymanthe

Où paissent, tranquillement, les troupeaux de moutons

Quand le dieu Pan conte fleurette à la charmante

Dans l’odeur de foin frais des propices moissons

Cueillons dès aujourd’hui les roses de la vie, ma belle

Car nos amours, quand seront morts, n’en sera plus nouvelles

Un rêve de paradis terrestre trop idéal

Car inéluctablement, ici comme ailleurs

Le vert si fol virera au noir sépulcral

Et les amours fauchées  quand passe le moissonneur

E in Arcadia égo

Merci à Ronsard et à Nicolas Poussin – Arcadie – octobre 2011

Découverte impressionnante, aujourd’hui, la ville forteresse de Monembasía directement surgie du Moyen-Age. Sa difficulté d’accès, l’étroitesse de ses rues, les falaises et remparts qui la cernent l’ont conservée durant les siècles pour nous l’offrir ainsi, « dans son jus » dirait un agent immobilier hellénique. Jamais un véhicule n’a pénétré à l’intérieur de ses murs, du moins d’une taille supérieure à une brouette, pas un câble, fil électrique ou autre ne la dépare ; c’est un exemple unique au monde et nous avons passé une journée à l’arpenter passablement ahuris et ravis. Fiché sur un promontoire rocheux, simplement relié au continent par une digue, ce Mont St Michel grec a défié les armées de tous pays et le temps sans jamais perdre son identité. Régal pour celui qui aime se promener dans des escaliers labyrinthiques, la promenade se fait sous la double surveillance du soleil, maître des lieux, et de cette mer omniprésente encerclant totalement la ville. Devenu la coqueluche de l’élite grecque, les restaurations sont permanentes ; le prix des maisons est le plus élevé du pays avec Mykonos. Beaucoup de maisons, avec leurs pierres bien posées et leur jointoiement minutieux font même trop neuves, comme des jouets géants mais l’ensemble emporte l’adhésion : Monembasía vaut plus que le détour. Les fanatiques du « Seigneur des Anneaux » y retrouveront la ville-citadelle du « Retour du Roi ».

Ce sera, aussi, pour nous l’occasion de nous intéresser à son histoire dont l’importance stupéfie. Comment imaginer que cette petite ville de 90 habitants en comptait 50 000 à sa période faste, lorsque sa conquête était une priorité pour tous les gouvernants de l’époque. C’est l’occasion, aussi, d’en savoir un peu plus sur ces croisés, ces chevaliers francs qui conquirent le Péloponnèse, ces Princes de Morée (le nom ancien du Péloponnèse) qui soumirent la plus grande partie de cette région pendant des siècles. Etonnant, cette histoire peu connue de notre Histoire de France. Du haut des remparts, ma tendance à faire revivre le passé est soumise à dure épreuve, mon disque dur tourne à fond. Ces chevaliers venus de Champagne, en fait, quel était leur vie dans la chaleur de ce pays ? Certains se sont taillés des quasi royaumes, qu’en reste-t-il  aujourd’hui comme survivances ? Dans d’autres régions du monde, une occupation bien plus courte a laissé des traces importantes ; en Grèce, cette découverte est une totale surprise. Je vais faire fonctionner internet à mon retour pour trouver une bibliographie complète sur la chose. Mais pour l’instant, je suis fasciné par la vue de ces toits enchâssés dans les remparts comme un joyau dans son écrin. Ces princes de Malvoisie, nom de cette partie de Morée, menait une existence exubérante pour des chevaliers champenois. Nul doute qu’ils sacrifiaient, avec modération bien sûr, à ce cépage qui fit, quelques siècles avant le champagne, la délectation de toutes les cours d’Europe. Le malvoisie que l’on trouve encore dans beaucoup de vins du Sud de la France et de l’Europe trouve son origine ici, sur les pentes caillouteuses et râpées de cette terre dévorée par le soleil.

L’ennemi était l’ottoman à l’époque, Jérusalem étant occupée par les turcs, les croisades, à partir de la 4ème, s’en prirent directement à leurs possessions en Europe, d’où l’apparition d’un empire latin dans la région. Aussi, on peut dire qu’avant l’euro, la Grèce avait, aussi, bien connu le franc, mais dans les deux cas pas forcément avec le succès, franc, escompté justement. Sur cette sortie définitive, j’irai me coucher sur des rêves de batailles, de fracas d’armes et de chevaliers surement plus sans peur que sans reproches, une épopée d’autres temps, une histoire d’un autre monde.

Croisades

Les vaisseaux voguaient depuis de longs jours

Le corps, l’esprit broyé par ce roulis

Un bleu de métal pour pire ennemi

Le sel corrompait les meilleures armures

Et la mort souriait là-bas sous l’azur

Quel soulagement de voir enfin les tours

Monembasía entre mer et nuages

Monembasía la demie du voyage

Continuer ou repartir c’est le même

Autant mourir pour venger ce blasphème

Pour l’heure, que coule à flot le malvoisie

Et demain nous chasserons l’impie.

 

Les vaisseaux accostent, résonnent les tambours

Le corps et l’esprit reprennent enfin vie

Un bleu métal vaincra l’ignominie

Le sel attisant notre soif impure

Et la mort souriant là-bas sous l’azur

Quel soulagement de voir enfin les tours

Jérusalem entre mer et nuages

Jérusalem la promesse du voyage

Se battre, vaincre ou périr c’est le même

Autant mourir sous le signe du baptême

Pour l’heure, que coule à flot le malvoisie

Et demain nous chasserons l’impie

Monenbassia octobre 2011

Même le Péloponnèse a une fin ; une péninsule, un cap perdu au bout de cette terre enfoncée dans la Méditerranée comme une écharde. Une terre étrange vous renvoyant à chaque virage le souvenir d’autres paysages déjà vus ailleurs. Là, les Cinque Terre, avec ces villages ancrés dans la mer au sein même de la montagne, là, l’arrière-pays niçois avec ses terrasses de végétation rabougrie et sèche escaladant des pentes escarpées, là encore, plus sauvage, le Connemara avec ses landes désertes seulement peuplées de murets de cailloux découpant un damier improbable, là la Bretagne avec ses falaises plongeant dans les flots, là, encore, les calanques provençales avec une eau transparente où aucun nuage ne se reflète. Le Magne est un enchantement permanent pour qui sait prendre son temps et se perdre dans ses petites routes où la signalisation locale prend un malin plaisir à déconcerter le voyageur. Demander son chemin est une gageure, nous sommes seuls dans ce pays déserté par ses habitants, les villages semblent mort et les rares ancêtres aperçus nous dévisagent comme si nous arrivions de la planète Mars ; nos Kaliméras distribués avec générosité leur ramène un sourire mais l’on sent bien qu’ils se méfient. De quoi peuvent vivre les gens dans un tel environnement pelé et rongé par le vent ? Des retraites que le gouvernement a de plus en plus de mal à payer ? Des touristes que ce début octobre transforme en denrée rare ? Le Magne est une région à la fois hostile et attrayante où les gens vivent (ou plutôt vivaient avant l’exode des jeunes) en clans, lesquels clans se regroupent chacun dans des tours aux créneaux menaçants et fenêtres minuscules en forme de meurtrières. Moi, qui cherchait l’héritage des Francs, le voici, dans chaque petit village, ces tours, ces donjons d’opérette qui se font face ; chaque famille s’enfermant dans sa tour, pas vraiment d’ivoire, mais de pierre sèche et rugueuse comme l’esprit de ces hommes habitués à l’adversité permanente. Beaucoup de ruines dans ces villages, mais aussi beaucoup de restaurations en cours, ceux qui sont partis doivent envoyer de l’argent pour entretenir la tour familiale. Mais les travaux sont un peu trop kitsch et les tours restaurées semblent des jouets un peu clinquants. Les ruines délabrés des anciennes tours franques, très nombreuses dans le paysage, gardent, elles, un air altier, voire méprisants, face à ce dévoiement, comme un aristocrate déchu contemplerait avec dédain le comportement de nouveaux riches. Eh oui, les forteresses des chevaliers croisés imposent leur pérennité à ce paysage abrupt. L’histoire a gravé ces pentes de son sceau et le voyageur ne peut que s’incliner devant le témoignage de ce passé. Une journée incontournable, sans monument majeur mais avec des visions apportés par le hasard quand roule dans nos têtes les noms sonores et étranges de ce monde entre deux flots : Géroiimenas, Aréopolis, Flomochori, Nifi, Kamares, Keléfa, Kokkala, autant de sites dont nous garderons des images où la pierre se nourrit du vent apportés par la mer omniprésente.  Nous passons des cols aériens et plongeons dans des abymes où des falaises noires alternent avec des baies tropicales, le turquoise et l’outremer se disputent les fonds cristallins, paradoxe du Magne.

Aujourd’hui, encore une découverte surprenante : Mistra et sa montagne médiévale. Alors que nous nous attendions à crouler sous les acropoles et autres antiquités, les Francs, toujours eux tiennent la corde. Le fameux Guillaume de Morée a édifié ici, près de l’ancienne Sparte, une montagne-forteresse. Les ruines escaladent la pente pour se terminer, au sommet, sur la couronne dentelée des remparts de la citadelle. Un monde fantôme surgi de la nuit des temps, un monde irréel dont la présence s’impose ; ces murs ne sont qu’endormis et attendent le prince qui les réveillerait. Du côté des montagnes, la végétation et la disposition du site nous transporteraient à Montségur ou à Peyrepertuse s’il n’y avait  cette plaine en pente douce tapissée d’oliviers descendant sur Sparte, si proche. Difficile pourtant de se persuader que nous sommes en Grèce, d’autant plus que Sparte n’abrite aucun vestige et offre la vision d’une sous-préfecture provinciale. Les spartiates détestaient les honneurs, les monuments, les statues, toutes ces choses glorieuses en pierre destinées à faire l’apologie des hommes ; pire leur arrogance guerrière leur faisait faire fi des remparts : ils en furent d’autant plus balayés par le vent de l’histoire et, aujourd’hui, nulle trace de leur puissance ne subsiste. Notre Guillaume de Villehardouin, par contre, menait grand train, à l’image d’un roi dans sa forteresse et lorsqu’il céda la ville aux turcs, en paiement de sa rançon lors d’une campagne malheureuse, ceux-ci s’empressèrent d’investir et de pérenniser le site. Le voyageur en retire les bénéfices aujourd’hui : la visite atteint des sommets de romantisme poussant à la rêverie ou au fantasme. Quelle impression sans prix d’être plongé dans cet univers hors du temps, d’écouter parler les pierres et de saisir fugace l’écho d’un baladin ou le galop d’un destrier. Peu me chaut le nom et les caractéristiques de tous ces monuments disséminés sur la pente, seule compte l’histoire qu’ils racontent et dans quelques siècles encore, le vent s’en fera toujours l’écho.

Mistra

Barrant la route de Sparte jusqu’au flanc du Taygète

Sur la pente escarpée la forteresse se dresse

Formidable menace, épée de Damoclès

Dont même le plus fort ressent le poids sur sa tête

Sur ce mont vit une race audacieuse, indomptable

Une race dont le nom seul fait la ville imprenable

Des hommes pour qui guerroyer est une longue fête

De fiers chevaliers qui ignorent le mot défaite.

 

Il faut le dire, des Francs, de retour de croisade

Un monde nouveau en offrande, ils surent le saisir

Dans leurs yeux bleus se reflétaient des rêves d’empire

Des seigneurs de guerre, des valeureux camarades

Unis comme les chevaliers de la table ronde

A chercher leur Graal dans cette Arcadie féconde

Les archontes  soumis à leur mortelle embrassade

Une épopée que l’on compte toujours en ballade.

 

Les rebelles grecs emportés comme fétus de paille

Pour la gloire, heureusement, était l’Ottoman

Un ennemi pour qui résonnait l’oliphant

L’ennemi rêvé pour de somptueuses batailles

Du haut de Mistra fondaient les noirs destriers

Les lances enfonçant les hommes et leurs boucliers

De noires semailles pour de funestes funérailles

Avant de faire ripaille à l’abri des murailles.

Mistra – Octobre 2011

La route reprend, côtière, une des plus belles de Grèce, un balcon sur l’azur. Sinueuse à souhait, un régal pour les yeux et le conducteur. Le relief pourrait être sévère mais l’omniprésence des oliviers adoucit les pensées du voyageur. Comment se croire dans une région austère quand partout surgissent des plantes affamées de soleil, bougainvilliers, fuchsias, lauriers roses, des senteurs aromatiques et des reflets mordorés sur cette mer paisible. Nous quittons à regret la côte pour Ithomi, la porte de l’Arcadie où nous retrouverons des vallées fertiles et fécondes. Sans être un site majeur, Ithomi dégage un charme incomparable avec son théâtre de verdure et ses longues pelouses parsemées de colonnes renversées. Les monuments s’inscrivent parfaitement dans le site et la nature compose avec ces ruines un tableau que l’on veut graver dans sa mémoire comme un moment d’éternité.

Cruelle déception, les Dieux du stade ne nous sont pas favorables, le site d’Olympie pourtant un des musts incontournables de la Grèce est fermé pour travaux. A mon avis quelqu’un a fini par s’apercevoir que tout était en ruines et qu’il fallait faire quelque chose ! Un comble ! Heureusement, une bonne âme nous indique une route longeant le stade et nous pourront le découvrir comme si nous y étions. Le stade Olympique quand même, ceci suffit pour me plonger dans cette histoire passionnante des JO antiques, mais je vous renvoie à vos livres d’Histoire. En compensation, nous nous reportons sur un site Franc, le château-fort de Chlémoutsi du sieur Geoffroy de Villehardouin, toujours cette famille. De proportions imposantes et très bien conservé, en tout cas le mieux du Péloponnèse, ce château déploie un rempart crénelé comme une couronne s’ouvrant sur le ciel. Encore une situation incomparable en bord de mer, ces chevaliers de Champagne avaient du goût et aimaient mettre de l’azur dans leurs coupes !

Ensuite le temps maussade nous pousse à faire de la route, passer le pont gigantesque de Patras, quitter le Péloponnèse et remonter vers le Nord en Epire jusqu’à retrouver le soleil. Longue route sans grand-chose à en dire sinon qu’en 2 heures de circulation en Grèce en s’adaptant à la conduite locale, tout en restant très en retrait par rapport aux énormités dont les grecs se rendent coupables en permanence, j’accumule de quoi faire sauter plusieurs permis en France. Très étonnant, ce côté optimiste chez ces gens qui les poussent à faire n’importe quoi en comptant sur leur bonne étoile. Heureusement, la circulation est très fluide et dépasser sur une ligne continue dans un virage a moins de chance de rencontrer une opposition que sur nos routes encombrées. N’empêche qu’il y a un côté jeu vidéo dans la conduite en Grèce, tout est possible d’autant plus que depuis que nous sommes dans ce pays nous n’avons pas vu un seul flic ou assimilé.

 Sur le trajet, des surfaces importantes ont brûlées récemment nous remémorant les importants incendies que la Grèce a connu ; c’était le cas aussi sur la côte ouest du Péloponnèse et en regardant les étendues incriminées, on comprend l’ampleur de cette tragédie : 65 morts en 2007 ou 2008, je crois me rappeler. Le feu doit se régaler de ces résineux si tendres quand ce ne sont pas les oliviers qui lui jettent de l’huile dessus.

Nous retrouvons le soleil à Prévéza, une petite ville tranquille en bord de mer, où nous nous installons pour l’étape et partons à la découverte des ruelles autour du port. La soirée amène une animation locale assez importante et nous nous plaisons à jouer les autochtones  dans une taverne très accueillante avec un patron sympathique révisant son français avec nous. Demandez-moi l’adresse si vous comptez passer par là, d’aventure, vous ne le regretterez pas.

Le lendemain, après un solide petit déjeuner chez notre ami tavernier, nous remontons la côte, le long de la mer ionienne, un endroit magnifique, avec les premières vraies plages de sable, qui n’a rien à envier aux îles de la mer Egée. La route paraît longue car Clo se précipite à chaque virage pour prendre des photos en poussant des cris d’extase. La mer n’a jamais été aussi bleue, d’une intensité de bleu qu’on ne trouve qu’ici et qui tendrait à prouver que la Grèce est vraiment la fille de la Méditerranée. Nous découvrons Parga, un gros village dans une petite anse, avec tout le charme d’une petite île perdue. Un miracle de beauté tranquille. L’endroit doit être très touristique en saison mais garde toute son authenticité avec ses petites maisons, certaines toutes blanches, d’autres toutes pimpantes aux couleurs acidulées. Un petit fort Normand, au milieu des pins vernissés surveille la baie. Assis, seuls en terrasse face au port, avec un air de sirtaki dans les oreilles, à déguster nos petits plats, nous sommes loin, loin, avec le sentiment le plus fort depuis notre arrivée d’être vraiment en Grèce. Le Péloponnèse, et notamment cette péninsule du Magne, nous rappelait très souvent des paysages vus ailleurs. Ici, à Parga, on ne peut être ailleurs qu’en Grèce. L’indolence nous envahit, l’effet de la musique peut-être, on prendrait bien racine pour s’ancrer dans cette carte postale et ne plus bouger. Le patron nous offre un ouzo, les glaçons tintent, le paradis.

Il faut dire un mot sur ces tabernas (petits restaurants grecs). Vous prenez une petite salade à 3 euros, que vous partagez à deux, ensuite un seul plat de sardines grillés à 6,50 € par exemple, que vous partagez aussi, les parts sont toujours très copieuses, avec simplement une carafe d’eau soit un repas pour deux à une dizaine d’euros et le patron est ravi. Il vous offre qui l’apéritif, qui des olives, une bruschetta, très souvent un dessert, parfois le tout ensemble, avec des assiettes, en plus, pour partager plus facilement, et surtout, toujours, toujours un grand sourire et n’attend pas de pourboire. Une leçon pour beaucoup de restaurateurs, moyennant quoi nous mangeons au restaurant midi et soir, parfois le matin et observons que les grecs, de même, vont très souvent au restaurant. Pas de polémiques, mais c’est bien agréable, pour notre budget notamment.

J’oubliais aussi, ce matin notre découverte, un peu par hasard du site de Nicopolis, « la cité de la Victoire ». En grec « niké » signifie victoire, sigle repris, fort opportunément, par un marchand de chaussures de sport éponyme. Ici, la victoire est celle d’Octave, le fils adoptif de César, sur Marc-Antoine, le chéri de Cléopâtre à Actium (bataille navale pour les lettrés). Notre nouvel empereur bâtit, ici, une ville à sa gloire ; sa taille est importante et de nombreux vestiges évocateurs, bien que fortement en ruines, parsèment cette plaine.  Notre marche au hasard sera récompensée notamment par un théâtre en fort bon état encore (le meilleur de tous les vestiges du site en tout cas) que notre guide a oublié de référencer. Il faut dire qu’il était à l’écart et bien dissimulé. Un plaisir d’archéologue presque, d’autant plus que des panneaux interdisaient l’approche ; mais comme le cadenas, sûrement par oubli, était ouvert nous ne pouvions pas refuser ce cadeau des dieux du voyage Par contre, les mêmes dieux furent moins cléments par la suite dans la mesure où mon plan était de rejoindre le port d’Igouminetsa, tout proche, afin de prendre un bateau pour Corfou, mais malheureusement, une grève pour 3 jours nous privait de cet escapade. Nous obtempérons donc à l’injonction divine autant que syndicale et quittons la côte ; direction Ionnina à l’intérieur des terres. Nous y trouvons un petit appartement très agréable, à l’intérieur de la citadelle, et risquons fort d’y rester quelques nuits, bercé par ce confort douillet.

Dodoni, dans un vallon tapissé de verdure, nous offre une visite tranquille, dans ce cadre romantique (encore). La plupart des vestiges ne dépassent guère le niveau de l’herbe, fraichement coupée de surcroit, mais offrent une vision d’ensemble indiquant un site de première importance ; le stade, par exemple, est plus long que celui d’Olympie avec, luxe suprême, des gradins en pierre, là où la plupart des stades s’inscrivent au sein de pentes herbeuses, les spectateurs restant debout. Le théâtre, lui par contre, est en bon état de conservation et c’est heureux car c’est l’un des plus grands de Grèce, plus important qu’Epidaure encore, avec 18 000 spectateurs annoncés dans le guide.  Il lui manque quelque chose, pourtant, pour avoir le charme de son concurrent du Péloponnèse, peut-être est-ce dû à une restauration en cours d’un maçon local sûrement, une sorte de bidouilleur avec une équipe de bras cassés qui a entrepris la reconstruction du monument. Déjà une rampe d’accès est faite en pierre toute blanche jurant avec la patine grise du théâtre. Les finitions impeccables suggèrent un décor de théâtre, une vision de cinéma ou de parc d’attraction de l’Antiquité. Dans un coin des palettes de dalles de jardin, surement achetées en solde au Kasto local attendent de retapisser la scène centrale. Un cauchemar d’architecte fou ! Que fait l’UNESCO ? Nous préférons en rire et déambuler sur le reste du site au milieu des tempes dédiés aux dieux et ici en priorité à Zeus. Il faut dire qu’à Dodoni, officiait l’un des oracles les plus importants de la Grèce ; Ulysse était venu le consulter pour retrouver le chemin d’Ithaque, pas très doué le gars ou alors, Ulysse n’avait vraiment pas envie de rentrer chez lui : près de 30 années pour retrouver son sweet home. Pénélope en plus d’être experte en tapisserie devait l’être aussi en pâtisserie et attendre avec le rouleau le retour de son mari découcheur.

Détour par la grotte de Pérama, indiqué dans le guide comme « valant le voyage ». Son rédacteur ne doit pas être des Cévennes ou n’a jamais vu de grottes avant. Certes, les machins qui mitent et ceux qui titent sont là, à foison, dans des salles de bonne taille mais rien d’original et l’on peut s’en dispenser pour parcourir, à la place, la citadelle de Ionnina. Ancré au bord de son lac si romantique, cerné de montagnes où le dernier orage a déposé une couronne de neige poudreuse, l’endroit ne manque pas de charme ; comme je me rends compte que j’ai tendance à abuser des comparaisons, je ne vous dirais pas que nous sommes au bord du lac Majeur. Et pourtant en le disant, je vous aiderais à visualiser l’endroit, alors que si je le décris avec force de détails vous finirez par dire : « mais c’est comme au lac Majeur !». Alors que faire ? D’autant plus qu’il y a une petite île au milieu avec des petits bateaux pour la visite, bien sûr ! La citadelle a conservé ses remparts où s’abritent de nombreuses maisons d’habitation, basses et étroites mais toujours colorées. Des ruelles pavées la parcourent ainsi que la circulation automobile, restreinte mais possible (tout juste). Notre petite voiture passe à peine pour rejoindre notre appartement. On trouve aussi, une synagogue, une mosquée au minaret effilé comme un missile géant, une forteresse dans un cadre charmant et verdoyant, vue sur le lac incluse. Bref la balade s’impose comme la petite halte dans l’un de ces cafés, au bord du las, où la jeunesse locale branchée se retrouve.

Le lendemain, c’est la grève, la grande, celle dont on nous parlait avant le départ : « comment vous allez en Grèce avec toutes ses grèves ! ». Mais nous échapperons à « la mère de toutes les grèves », comme l’on dit ici en partant pour une journée à la montagne. En sortant de la ville nous voyons la police installer des barrages avec des bulls. On se demandait, d’ailleurs si la police existait en Grèce, tant le sentiment d’être fliqué est absent dans ce beau pays, au contraire d’un certain pays dont les gouvernants pour capitaliser sur l’insécurité en collent partout avec un enthousiasme des plus malsain. Quelques kilomètres plus loin, nous croisons des files de tracteurs fonçant à vive allure pour faire le siège de la ville. Nous sommes partis à temps et passerons une journée tranquille dans les montagnes grecques et plus précisément dans les gorges de Vikos. Pour revenir à mes comparaisons, disons les gorges du Verdon. Une entaille de 900 mètres de profondeur découpe la montagne, un précipice vertigineux où s’accroche, comme de bien entendu, un monastère. Nous visitons Monodendri, un village de montagne aux toits de lauzes épaisses et aux ruelles de pierres sèches. En complétant avec une rando dans les gorges, la journée s’écoule ainsi loin de l’agitation des villes et nous revenons par une petite vallée où, dans chaque méandre de la petite rivière, si faible, que son débit journalier ne suffirait pas à remplir une baignoire, se cachent d’insolites ponts de pierres en dos d’âne. L’un, enchaîne trois bosses successives comme un manège de montagnes russes à la foire du trône ; au soleil couchant, l’effet est élégant. De retour à Ionnina, la ville a retrouvé sa sérénité ; il faut dire que ce soir l’Olympiakos affronte Dortmund en coupe d’Europe, il faut bien que la raison revienne. Pour notre part, à défaut d’avoir été dépaysés par notre journée, nous aurons été surpris par ces paysages alpins, ces montagnes aux sommets enneigés, par la température aussi qui chute très vite dans les zones à l’abri du soleil ; un visage de ce pays que nous n’avions pas envisagé, un de plus comme beaucoup d’autres depuis notre arrivée.

La route, ce matin nous fait contourner tout le lac et nous ne pouvons résister au plaisir de nous arrêter pour admirer la vue dès le premier surplomb. Une brume légère cède la place sous les assauts du soleil et le spectacle serait d’une sérénité totale, si l’air cristallin ne nous apportait les rumeurs de la ville ; en l’occurrence un concert de klaxons et les slogans repris par la foule. En effet, la grève n’est pas finie car c’est aujourd’hui que l’assemblée grecque vote le plan d’austérité. Drôle de paradoxe que cette collision entre l’actualité douloureuse et cette beauté naturelle. Bien sûr, notre condition de touristes nous tient à l’écart de ce conflit et nous n’avons pas de leçons ou de conseils à donner, mais je me sens proche de ces gens. Tout d’abord, le peuple grec a structurellement le cœur à gauche ce qui lui vaut ma sympathie, ensuite leurs soucis dépassent le cadre de leur pays et concernent l’Europe dont nous sommes tous citoyens. Nous sommes donc, que l’on le veuille ou non, solidaires des grecs et c’est pourquoi leur lutte me touche, d’autant plus que ce ne sont pas ces tracteurs vus hier qui viendront à bout des princes de la finance de ce monde. Pourtant, il faudra bien trouver une solution à cette spéculation mondiale sinon nous serons tous mal ; tous, sauf certains, bien entendu et c’est bien pour ça que les grecs manifestent. Alors continuez le combat camarades et nous nous continuerons notre voyage. Désolé, mais, nous simples voyageurs, on n’a pas la solution pour vous.

La montagne s’élève et nous arrivons à Metsovo, une petite ville dans la plus pure tradition des villes de montagnes, des chalets dignes de la Savoie. Quel étonnement de découvrir cette Grèce des sports d’hiver. Nous nous perdons dans les petites rues de cette ville escarpée, beaucoup de marches et de cheminées en action faisant flotter une odeur de feu de bois sur la vallée. Mais comme nous connaissons bien ces paysages, nous reprenons notre route pour redescendre vers un site qui, lui, nous fait plus saliver : les Météores. A peine arrivés, fascinés par cette curiosité géologique nous nous enfonçons entre ces pitons pour une grande balade à pied, sans même savoir où nous allons mais simplement pour le plaisir de prendre la dimension du lieu. Les grandes parois de grès nous surplombent alors que notre chemin s’élève durement au milieu des éboulis. Là-bas, entre deux parois abruptes nous avons la vision de notre premier monastère perché comme un aigle sur son aire. Une vision hors du temps due à l’obstination de ces moines pour créer une telle incongruité ébouriffante. Que dire, sinon admirer le résultat. Notre chemin se raidit, une via ferrata vient à notre aide pour nous amener sur un sommet où deux icônes se partagent une anfractuosité de rocher. L’incroyable sensation d’avoir entrouvert la porte d’un autre monde. Nous n’avons pas choisi le site le plus prestigieux mais nous avons apprécié cette virée hors des sentiers battus avec le hasard pour seul guide. Nous sommes un peu partis, sans réfléchir, hypnotisés par ce paysage, avec la chance de ne pas nous perdre, aussi demain nous utiliserons la voiture pour nous approcher des monastères ainsi qu’une carte pour ne rien rater, la journée ne sera pas de trop visiblement.

  La réputation des Météores n’est pas usurpée et nous passerons notre journée à errer dans ce labyrinthe géant pour notre plus grand plaisir. La rencontre entre une curiosité géologique, ces roches de grès hautes de 3 à 400 mètres dressées vers le ciel, et ces monastères qui se sont greffés dessus, y trouvant à la fois une protection et un isolement monastique, est tout simplement incroyable. Prolongeant la falaise, les édifices surgissent de l’abime, le vertige est leur ciment et les nuages leur couverture. Autrefois l’accès se faisait par une corde, un filet et une poulie, aujourd’hui des escaliers ont été aménagés, mais les lieux n’ont rien perdu de leur démesure. Evidemment, l’endroit attire les touristes et pour la première fois, nous croisons des cars mais pas assez pour ne pas arriver à les éviter. Le plus simple d’ailleurs est de s’enfoncer à pied dans ce dédale pour retrouver la solitude idéale pour ce lieu de prières. Nous découvrons un monastère qui non pas coiffe la montagne, mais s’y accroche, sur le côté, comme une chauve-souris ; ainsi camouflé, loin de la route il faut le mériter et même s’il est fermé la photo qu’en ramènera Clo vaut le détour. Puis nous continuons à zapper de monastères en petites églises couvertes de fresques colorées et de parois verticales en escaliers interminables. Les monastères sont un peu tous les mêmes, en fait, mais le prétexte est trop beau pour pouvoir prolonger la promenade dans ce lieu magique. En fait, j’ai un jugement un peu brutal sur ces édifices, car chacun d’eux possèdent une personnalité permettant de s’en souvenir avec précision, je le comprendrai mieux le lendemain. A chacun, une facette de ce qui constitue le plus grand ensemble monastique de Grèce. En fin de journée, confortablement coincés dans un creux de rochers, les jambes ballotant dans le vide nous dégusterons un coucher de soleil somptueux, les rochers se déroulant en chapelet comme une dentelle géante.

Le lendemain matin, avant de prendre la route pour Delphes, nous profiterons que nous étions tombés sur le jour de fermeture hebdomadaire de deux monastères pour retourner les visiter et nous replonger avec délices dans cet univers fantomatique. Les monastères, depuis tant d’années semblent faire corps avec la roche, comme si celle-ci les avaient enfantés ; roches et maçonneries, nature et  architecture, appartiennent les uns aux autres sans qu’il soit possible de les dissocier. Nous en visitons deux et les retrouvons tous. L’étiquette « vaut le voyage » s’impose ici.

Les Météores

Monastères perdus entre ciel et terre

Rêves impossibles d’anachorètes ailés

Autant croire à n’importe quelle chimère

Ou laisser les légendes nous envoûter

Car croire que fleurisse la pierre la plus lisse

Ou bien que des hommes habitent le vertige

Que des édifices naissent du précipice

Loin de la raison, tient plus du prodige

Météorites immobiles, comme figées

Avatar cosmique ? Décision divine ?

Météores dressés pour l’éternité

Ces montagnes nées d’une vision enfantine

Figures folles d’un chaos gigantesque

Surmontées d’une couronne improbable

Fruit humain d’un travail titanesque

Où des êtres, si petits, si misérables

Relevèrent ce défi en vrais géants

Un lieu de prières sur chaque montagne

Réponse obstinée au défi des dieux

Une église sur chaque mât de cocagne

Comme pour payer ce très vieux contentieux

Où l’homme fut chassé du jardin d’Eden

Reconstruire un moment d’éternité

Pour chaque montagne un grain dans la neuvaine

Une supplique pour être enfin pardonné

Echelles célestes reliant ciel et terre

Rêves impossibles d’anachorètes zélés

Déterminés à vaincre l’éphémère

Par ce trait d’union, superbe envolée

Monastères, où affranchis de la peur

Les hommes, enfin, tutoient leur créateur

Kastraki octobre 2011

La route pour Delphes passe par une immense plaine emplie de champs de coton en cours de récolte, encore une vision inédite ; mais très vite la montagne reprend ses droits, facile sachant qu’elle constitue 70% de la surface du pays. Les anciens savaient choisir des emplacements dans des cadres magnifiques pour s’installer, je l’ai souvent observé, je crois (non ?), mais que dire d’autre face à cette évidence répétée à chaque visite ; à cet égard, Delphes est l’un des plus beaux. Niché au pied de falaises abruptes, sur une pente escarpée, le site domine la vallée qui s’étend en méandres jusqu’au golfe Saronique que l’on aperçoit tout proche. De ces falaises de roche dure parsemées de buissons rabougris jaillit une mer d’oliviers tapissant entièrement le sol entre les montagnes, comme une immense coulée de lave verte argentée glissant des sommets pour aller se jeter dans la mer là-bas ; une coulée immobile, figée depuis longtemps pour s’être échappée d’un ancien volcan éteint. Un fleuve d’oliviers mal contenu par des rochers pliant sous l’assaut, ici et là les pointes noires des ifs figurent des noyés emportés par ce maelstrom végétal. Beaucoup des ifs ont trouvés refuge dans le site même le partageant avec de grands pins vert acidulé, le tout en opposition avec les pierres grises des vestiges pour offrir une vision des plus romantique. Beaucoup de blocs épars mais suffisamment d’édifices en bon état de conservation pour apprécier la grandeur de ce site. La visite se mérite car la pente est raide, notamment pour le stade haut perché au milieu des pins. Les gradins de pierre l’entourent, alors que l’on voit, au loin, au fond de la vallée, le gymnasium, où les athlètes s’entraînaient : se présenter sur la ligne de départ constituait déjà un sérieux échauffement. Le théâtre, aussi, a gardé ses gradins et permet de dominer tout l’ensemble du site notamment le temple d’Apollon avec ses colonnes doriques géantes. L’ensemble offre vraiment une vision prenante et dédaignant les explications des guides sur tel ou tel bout de pierre, je reste assis, sans bouger, plongé dans ce spectacle qui entrouvre une porte sur un monde disparu. Ajoutons un musée pour une fois de qualité, avec des pièces exceptionnelles mais surtout bien présentées dans des salles claires, avec des explications en français ce qui ne gâte rien, et surtout aussi, la possibilité pour Clo de photographier librement. Vous comprendrez donc que Delphes doit constituer une étape incontournable et nous aura valu une journée mémorable à peine gâchée par la défaite du 15 de France en finale de la coupe du monde que j’aurai quand même réussi à voir sur un écran internet car la TV grecque ne sait même pas qu’il existe un sport avec un ballon ovale, dans ce pays ou chaque jour, sans exception, lorsque nous passons devant des cafés, il y a un match de foot à la TV. Il aura vraiment fallu les 2 jours de grève dures pour voir un peu d’infos entre deux matches, mais à peine. J’explique aux grecs présents que nous perdons d’un point devant la Nouvelle-Zélande, qui est au rugby ce que le Brésil est au foot, c’est une image qui leur parle.

Gigantomachie

                                                                                                             De l’Olympe, même, la rumeur se fit un chemin

Un groupe tumultueux en voulait à leur couronne

Armés de boucliers à tête de gorgone

L’armure d’électrum fondu renforcée d’airain

L’épée de bronze dressée en signe de défi

L’armée des géants montait à l’assaut des dieux

La colère noire aux flammes dévorantes dans les yeux

Zeus pâlit devant l’indicible ignominie

Qui poussait les fils d’Ouranos et de Gaïa ?

Sinon la terre, même, voulant venger ses enfants

Ceux que Zeus mura dans le Tartare, les Titans

Le ressentiment était l’âme de ce fracas

Les dieux furent bousculés par une pluie de rochers

Les montagnes s’effondrèrent et les pics s’envolèrent

Ce fracas gigantesque échauffa la mêlée

Chaque camp à son tour espère et désespère

Athéna repoussée par le géant Pallas

Héphaïstos durement secoué par Mimas

Les Dieux sont invincibles, les géants immortels

L’empoignade sans issue pourrait être éternelle

 

Alors Zeus humilié fit appel aux oracles

De Delphes à Dodoni la réponse fut la même

Seul un mortel, aux géants pourrait faire obstacle

En triomphant de leur immortalité même

Soleil, lune et aurore furent empêchés de luire

Par Zeus, pour couvrir ses amours avec Alcmène

Il changea d’apparence pour mieux la séduire

Vraiment pratique d’être un dieu pour compter fredaine

Alcmène crut Amphitryon, enfin, de retour

Mais ce fut bien Zeus qui engendra Héraclès

Le héros, qui de la mêlée, changea le cours

Il reçut en don un casque du divin Hadès

Un arc, un carquois de la furieuse Athéna

Pour ses flèches, Hercule, composa un noir venin

Du sang de l’hydre de Lerne qu’il décapita

Offrant ainsi aux géants un mortel destin

Un dieu infligeait une blessure, Hercule la mort

Des nuées de flèches, des géants, scellèrent le sort

La guerre, enfin, cessa faute de combattants

La fuite ou la mort, seule issue pour les géants.

Delphes – octobre 2011

Aujourd’hui, route pour Athènes où nous rendrons notre véhicule au bout de 17 jours et  2 650 km, un trajet ponctué de découvertes quotidiennes, de paysages magnifiques et surprenants souvent très loin de l’image traditionnelle que l’on peut avoir sur le pays avant de le visiter : la Grèce continentale n’est pas la Grèce des îles. Un trajet ponctué, aussi, de rencontres toujours chaleureuses, le grec est accueillant même s’il parle rarement français, à peine un sabir d’anglais, comme moi d’ailleurs ce qui me va très bien, la communication se complétant avec les gestes. Mais je ne serai pas fâché de rendre ma voiture sans un accroc car circuler est périlleux, un exercice parfois rafraichissant car me rappelant une époque révolue où la ceinture de sécurité et les limitations de vitesses n’existaient pas en France, mais aussi inquiétant comme ce retour sur la capitale, au milieu des camions qui n’hésitent pas à doubler dans les virages malgré la ligne continue escomptant que le véhicule opposé saura les éviter. Se faire doubler par un car sur une route limitée à 50, alors que vous roulez à 100, qu’il y a une double ligne continue et des panneaux d’interdiction de doubler pour renforcer la chose car la visibilité est mauvaise, laisse pantois. Pas d’autres solutions que de se jeter sur le bas-côté ce que font la plupart des grecs dès qu’apparait un véhicule dans leur rétroviseur. Pour doubler ici, si la route ne se prête pas au dépassement (trop de voitures en face par exemple), il suffit de talonner la voiture qui vous précède, elle s’écartera. Pourtant le code de la route existe bien mais, par exemple, je n’aurai pas vu un seul grec marquer un stop, dans le meilleur des cas il sert de balise de priorité. Au premier stop que j’ai voulu observer, sous la pression affolée de Clo, j’ai failli me faire emboutir et je me suis fait klaxonner vertement, après on s’adapte mais le retour en France risque de poser quelques problèmes. D’ailleurs les panneaux d’interdictions servent le plus souvent de support pour des affichettes diverses et variées, un emplacement idéal, comme ceux de direction d’ailleurs, ceci au point de les rendre illisibles. Ceci complique un peu les choses et vous comprendrez que je compare le tout à un jeu vidéo car, en plus, les véhicules ou les objets les plus hétéroclites peuvent surgir à tout moment et ils ne s’en privent pas. Une fois nous nous sommes retrouvés dans un rallye automobile en montagne, pourquoi fermer les routes quand tout le monde conduit comme Sébastien Loeb ? Ce n’est pas une critique car j’ai bien aimé conduire ici, au demeurant, mais les meilleures choses ont une fin, heureusement en l’occurrence.

40 km après Delphes, une bonne surprise : le monastère d’Ossios Loukas. Certainement l’un des plus beaux de Grèce (en dehors des Météores) et situé, comme toujours dans un cadre de montagne magnifique ; l’ensemble offre de nombreux bâtiments à la visite. Des touristes grecs viennent se prosterner devant la dépouille de Saint Luc, himself, et sous l’église une petite crypte bien proportionnée pousse à la méditation. J’observe un pope qui s’acharne à raviver toutes les bougies malgré un courant d’air taquin. Il y parvient enfin et sourit béat mais d’un coup tout s’éteint sous un souffle plus fort, le moine lève un regard dépité vers le ciel : hé oui, Dieu aime plaisanter. Une autre surprise moins bonne nous attend  au Pirée où nous devons embarquer le lendemain, Ferries cadenassés et bateaux en panne, le port est en grève depuis 10 jours. Consternation, mais miracle, on nous annonce que la grève sera levée demain matin. Dieu peut parfois aussi être plein de mansuétude, je n’oublierai pas de mettre un cierge à mon prochain monastère.

 Finalement l’embarquement se déroule sans anicroche et notre ferry se glisse parmi la nuée de bâtiment de toutes sortes coincés dans la rade depuis des jours. Le port du Pyrée a fière allure, la flotte en Grèce étant la force de ce pays (en dehors du tourisme). Cependant, la constitution grecque prévoit que les armateurs soient exemptés d’impôts, une des nombreuses aberrations qu’il faudrait corriger pour sortir de la crise actuelle. Mais pour l’instant, le spectacle de tous ces mastodontes des mers suffit pour notre plaisir, ce sont de nouvelles vacances qui s’offrent à nous : les îles grecques, enfin pour rester modestes, précisons : les îles Saroniques : Egine, Poros, Spetses et Hydra pour la prochaine décade.  Egine est l’île la plus proche d’Athénes, pas la plus belle précisent les guides mais je trouve beaucoup de charme à son petit port, à commencer par cette adorable petite chapelle blanche au bout des quais. Chose promise, chose due, je me précipite pour faire brûler un cierge ; détail amusant, une hotte couvre le présentoir à cierges avec des tuyaux d’alu, façon poêle, pour évacuer la chaleur à travers la petite fenêtre : sans doute pour ne pas augmenter, en été, la chaleur de cette minuscule chapelle.

Le programme de ces 10 prochains jours va être de se laisser vivre, encore plus que dans la première partie si cela est possible. Nous nous y mettons d’arrache-pieds . Petites promenade en front de mer avec arrêts nombreux pour nous imprégner de cette overdose de turquoise étincelante puis flânerie dans les petites rues colorées derrière le port et pour finir une petite bulle dans notre petite pension très cosy sur le balcon pour attendre le coucher de soleil, après ceci il ne restera plus qu’à retourner se promener dans les ruelles, derrière le marché aux poissons, pour trouver, à l’intuition, un resto de grillades. Nous voilà enfin en Grèce, la vraie, celle des cartes postales, des terrasses à ouzo et des couchers de soleil, maisons blanches et mer turquoise… 

Un petit bus nous fait découvrir l’autre côté de l’île. Au passage, un temple juché sur un promontoire, la mer sur trois côtés, avec de nombreuses colonnes, il nous préfigure l’acropole que nous découvrirons à Athènes en fin de voyage. Une découverte un peu magique dans un cadre de pins de ce vert si clair dont nous ne nous lassons pas. Nous descendons dans la pinède jusqu’au village en bord de mer. Comparé à Egine si pimpante et animée, Agia Ana semble bien sinistre en cette arrière-saison, des maisons vides et fermées, d’autres en ruines et d’autres encore non terminées, nous sommes dans une ville fantôme, pire encore, peuplée de zombies ; 2 ou 3 boutiques et tavernes restent ouvertes dans ce dédale boudé par les touristes ; dans le bus, la moyenne d’âge des rares passagers atteignait le siècle. Ces improbables commerçants nous dévisagent, sans nous regarder comme un loup observe sa proie, de travers pour ne pas trop l’effrayer mais nous ne nous laissons pas distraire et partons, fébrilement, à la recherche de l’arrêt de bus de peur de rater l’unique de l’après-midi. Nous redécouvrons Egine avec les yeux de Chimène pour son Rodrigue, quel port magnifique et quelle allure gracieuse ! Il ne nous reste plus qu’à surveiller le coucher de soleil et les allées et venues des hydroglisseurs et autres ferries. Quel bonheur de pouvoir jouer les badauds après la désolation de la côte sous le vent. Tiens, un ferry déverse une armée de camions poubelles, serait-ce la fin de cette grève qui sans déparer ce pays, trop beau pour être dévalué par ces monceaux d’immondices épars, fait quand même un peu tâche.

Poros, comme une île des Cyclades, avec son port de maisons blanches, venue se heurter au Péloponnèse, à un jet de cailloux de la côte, nous offre une des cartes postales que nous attendions de ce pays. Un port tout en longueur avec tous ces mâts alignés que le vent agite. Des maisons étagées sur une colline parcourue dans un sens d’escaliers tortueux et dans l’autre de minuscules ruelles. Dans le port, une flottille de petits caïques traverse en tanguant jusqu’au port opposé pour déverser dans un chassé-croisé permanent ceux qui quittent l’île et ceux qui veulent y entrer. Ce front de mer nous occupera la journée, l’arpenter ou le contempler d’une terrasse d’un café. Quelle fatigue ! Je sacrifie à la sieste locale, il faut respecter les traditions du pays, d’ailleurs toutes les boutiques ou services n’ouvrent pas avant 17 heures. Ce soir, perchée dans le dédale des escaliers, une taverne qui réclame le talent d’un chien de chasse pour la dépister. Malheur c’est complet, bonheur deux grecs couche-tôt, c’est rare, demandent l’addition et le patron nous rattrape dans la rue. Quelle fabuleuse soirée au milieu de ces gens hauts en paroles. Nous dégustons des escargots de Crête en nous régalant aussi, de ce spectacle ; le patron, a sa cuisine ouverte juste à l’entrée et salue avec chaleur les clients pour la plupart des habitués. La musique nous enveloppe comme la fumée des cigarettes malgré les panneaux d’interdiction. Quel beau pays qui sait résister aux torrents de restrictions et brimades qui nous engloutit dans notre beau pays au nom de la sécurité et de la protection des gens et des choses.   

Aujourd’hui, fête nationale pour nos amis grecs, fanfare et défilés des écoles sur le quai. Amusant sur la ville d’en face, à Galatas, la même cérémonie dont les flonflons nous parviennent en écho. Etonnant de voir le patriotisme fervent de ce peuple rassemblé derrière son drapeau. L’indépendance de la Grèce date du XIX siècle, récente donc, après des occupations diverses et multiples notamment les turcs avec lesquels le contentieux semble insoluble. Pourtant, malgré cette fibre nationaliste très forte, les grecs en cette période européenne troublée ne cèdent pas au populisme nationaliste façon lepéniste. Ils sont conscients qu’un certain nombre de leurs dirigeants sont coupables d’avoir truqué les chiffres, et, au contraire les difficultés actuelles les ressouderaient plutôt en ramenant au premier plan des valeurs familiales et de solidarité. A mon avis il reste encore un gros pas à franchir pour s’affranchir un peu de leur position vis-à-vis de l’église. Mon côté républicain a été heurté de voir les popes avoir la primauté sur toutes les autres autorités lors de la cérémonie de ce matin. J’ai réussi à refouler mon côté anticlérical jusqu’ici dans ce pays ultra religieux avec une chapelle tous les 20 mètres, mais trop c’est trop. L’église est richissime et fait tout pour défendre son magot même en ses heures difficiles pour le pays à l’heure où, pourtant, même des milliardaires grecs déclarent vouloir payer l’impôt pour soutenir le pays. L’église rate ici une occasion de redorer son blason malmené par son soutien inconditionnel par le passé à toutes les dictatures notamment celle des colonels. Le ressentiment contre les américains est encore très fort à ce sujet, mais l’église est taboue. Au point de vue historique je suis loin d’être sûr, au sujet du schisme de je ne sais plus quel siècle que les orthodoxes avaient tort mais aujourd’hui je crois qu’il ne le sont plus vraiment, orthodoxes ! Les popes que l’on rencontre sont gras et replets, les monastères sont florissants, clim, caméras, portes électriques, gros 4x4, Mercédès à vitres fumées… Sur le bateau il y avait un groupe de popes, mallette en cuir, rayban, chaîne en or autour du cou dont le poids m’aurait collé mal au lombaires, filmant le large avec leur tablette Apple et draguant les filles avec un sourire fat. Un étalage de richesse et de suffisance, abject, le même que dans les Météores où les moines font plus de commerce que de prières. L’église orthodoxe ne l’est vraiment plus, j’insiste, et les grecs n’auront pas résolu leur problèmes tant qu’ils resteront soumis à cette dictature ; ce n’est pas gagné. Songez qu’une partie de ce pays appartient à l’église, des îles entières notamment, que les seuls titres de propriété sont turcs du temps d’Ali Pacha et que nos bons popes ne payent aucun impôt, ni sur le foncier ni sur les revenus qu’ils en tirent, ne parlons pas de la TVA. A bas la calotte ! Ici comme ailleurs les religieux vivent sur le dos du petit peuple qu’ils assomment de leurs superstitions pour mieux les traire.

Sans rancune, nous faisons une balade d’une dizaine de kilomètres pour aller visiter un monastère indiqué par les guides mais nous tombons mal, ces messieurs font la sieste d’une heure à cinq heures. Pas grave, la promenade en bord de mer dans les pins est magnifique ; cette île, comme ce pays, est vraiment plus boisée que nous l’imaginions. Pour ne pas être en reste, je m’empresse de faire la sieste de retour au port ; une coutume locale qui me va fort bien. Il faut quand même que nous faisions attention le rythme devient trépidant et il ne nous reste plus beaucoup de temps pour l’apéro et le choix de la taberna du soir.

Poros ne présente aucun intérêt pour un amateur de site antique, ou si peu. Pas grave, elle nous offre son charme insulaire et ses longues pentes boisées en bord de mer. Le grand tour de l’île à pied, une vingtaine de kilomètre sans difficultés, offre des vues, déchirantes pour les photographes, à chaque virage ; un plaisir sans cesse renouvelé et dont nous ne privons pas. Un léger vent nous rafraichit dans notre progression en balcon parmi ces pins au vert toujours aussi tendre. Pour ainsi dire personne sur les chemins sinon un grand chien noir qui nous a adoptés et nous suit, mine de rien. Bien plus tard, l’animal regrettera sa pulsion en boitillant bas : d’habitude les touristes s’arrêtent à la première plage. Retour enfin au port pour le coucher de soleil où notre ami fourbu jure que l’on ne l’y reprendra plus.

Poros

Au sortir du bateau,  cachées, tapies dans l’ombre, elles passent inaperçues pour l’œil du voyageur qui n’a d’yeux, là-haut, que pour l’horloge blanche, au-dessus de la mosaïque des toits s’étageant  sur la colline. Les maisons fardées de blanc, comme des courtisanes d’un autre siècle, se lancent à l’assaut de la pente pour s’arrêter d’un coup au sommet sans vouloir le dépasser ; semblant ainsi vouloir toutes, absolument toutes, garder une vue sur le large. Enfin en s’avançant, le voyageur, les aperçoit, là dans la pénombre marquant le faible interstice entre deux murs. Elles attendent indolentes et taquines prêtes à tout pour vous égarer, les ruelles de Poros. Au début, les premiers mètres engageant semblent sans piège et on s’avance conquérant, juste pour voir, mais au premier virage l’étau se resserre ; on se retourne mais c’est déjà trop tard.

Quelques marches vous avalent et dans le ventre de la ville vous ne savez plus où vous êtes. Des bouts de ruelles de quelques mètres, rarement plus longs, surgissent de partout. On hésite à s’y engager car elles semblent autant d’impasses, mais au dernier moment, au pas du visiteur, une échappatoire, par une vire détournée enchaînant trois marches et une nouvelle ruelle encore plus biscornue, s’offre et vous voilà propulsé encore un peu plus loin, encore un peu plus perdu. Ainsi, insensiblement conduit à votre insu, vous atteignez le haut de la colline ; sur le dévers, des rochers, des broussailles, en bas une anse d’eau tranquille, en se retournant, les toits rebondissent devant vous jusqu’au port, en bas, où le ballet des petits caïques traversant le chenal jusqu’à la côte du Péloponnèse si proche, n’a de cesse, un va-et-vient ininterrompu, des abeilles rentrant à la ruche.

 Vous savourez le spectacle avant de vous attaquer à l’épineux problème du retour dans ces passages si traitres. La solution parait simple pourtant, il suffit de descendre plus de marches que l’on en remonte et on finira bien par se retrouver les pieds dans l’eau mais n’est pas si évidente tant ces ruelles sont retorses. Le soleil, lui-même, s’y laisse prendre et les grands murs blancs semblent l’absorber comme une éponge se gorge d’eau, quant au vent du large, si impétueux quand il se joue des drapeaux sur les mats des bateaux à quai, perdra vite de sa superbe. Il s’engouffre ainsi entre les maisons en jouant les matamores pour perdre de sa force à chaque étranglement et se retrouver dépité, essoufflé, à ne pas pouvoir grimper les marches comme le premier touriste venu. A l’horloge ce ne sera plus qu’un maigre filet à peine audible très lointain cousin des grands vents marins.

Passant, prends garde à ces petites rues de Poros car tu y laisseras un peu de toi-même à ton passage.

 Saches qu’ainsi tu feras toujours partie de cette île et que, parfois, ton nom, le vent, susurrera dans le dédale des ruelles de Poros.

Une nouvelle île, Spetses, de nouveaux paysages très différents. L’eau est absente sur cette terre basse et les habitations se concentrent autour du port. L’aspect est plus sévère sur ce front de mer ouvert au vent mais de splendides maisons cossues aux murailles blanches se dressent fièrement face à la mer. Celles des armateurs d’un autre siècle comme cette héroïne locale, Laskarina Bouboulina, la seule femme à avoir été amiral en Grèce et qui compte dans l’histoire de ce pays. Un musée existe à sa gloire mais nous préférons flâner sans but. Les rues sont faites de calades formant des dessins en rapport, vous l’aurez deviné, avec l’élément marin : pieuvres, dauphins…

Nous partons, à nouveau pour une grande journée de randonnée à travers l’île. En fait, autour de l’île serait plus précis car la beauté de cette côte rend difficile la possibilité de s’en éloigner. Partout des criques où l’outremer et le turquoise se disputent des fonds limpides. Qualifier la clarté, la transparence de cette eau est une gageure, alors disons qu’elle est cristalline mais d’un cristal si pur qu’il en transcende la couleur de la mer entière, que d’avance, je renonce à qualifier. Venez voir par vous-mêmes !

Arrivée à Hydra, le plus beau port des îles grecques d’après les guides. Nous ne les avons pas tous faits mais nous serions portés à le croire, l’endroit ne manque pas de charmes. Les guides rajoutent « mélange de Portofino et de St Tropez », alors là je ne suis plus ; peut-être au niveau de la fréquentation en plein été, mais à regarder Hydra est bien différente avec un caractère qui n’appartient qu’à elle. Ce petit port, enchâssé dans sa gangue de montagnes et ses maison blanches étagées sur la pente sont bien grecs, un des clichés que nous attendions de ce pays et qui répond parfaitement à notre attente. Nous terminons par la plus belle des îles Saroniques, sans conteste. Il n’est que de se promener dans ses petites rues pour s’en convaincre. Avec ici, un charme de plus, aucun véhicule sur l’île pas même l’un de ses scooters pétaradants. Sur notre terrasse privée dans notre hôtel (un peu luxueux avouons ce petit plaisir pour nos dernières nuits dans les îles), nous nous réjouissions de ne pas entendre de véhicule quand un grand braiement (non je ne me suis pas coincé les doigts dans la porte) vint nous apporter un démenti bien net ; ici tout se fait à dos de mulet ou d’âne : ce sont les véhicules locaux. C’est d’ailleurs amusant de les voir charger toutes les denrées et colis à l’arrivée des bateaux et de s’en aller dans les rues, chargés d’une palettes de briques ou d’un frigo, à l’assaut de la colline pour livrer hôtels et commerces car ici tout arrive par la mer, même l’eau. Le nom de l’île date un peu, car de l’eau, il n’y en a plus une goutte et la douche, ou l’eau pour l’ouzo, viennent des bateaux-citernes.

Pour ne pas changer, aujourd’hui grande balade dans l’île et de préférence sur le pourtour (encore) pour profiter de cette frange escarpée où l’eau et la roche se livrent un combat sans fin. Le soleil de ce début novembre a suffisamment d’ardeur pour qu’on comprenne qu’en été se promener ici serait ardu ; nous en profitons comme ces voiliers qui ont vidé le port pour saisir une petite brise bien absente hier où la mer était lisse comme un miroir. Aujourd’hui, une multitude de voiles blanches passent emportées par l’azur. Ici et là, des maisons, rares car sans eau, s’accrochent à un cadre si grandiose qu’elles ne peuvent se résoudre à le quitter. La promenade est paisible, sans même un 2 roues donc, les ânes, au pas lent, rythmant l’activité de l’île ; rien que d’acheminer à bon port quelques matériaux de construction prend plusieurs jours. Le temps prend une dimension autre, dans cette île, qui n’existe nulle part ailleurs et rend vain tout ce qui n’est pas indispensable. Nous saluons des paysans qui assis au sol, à l’ombre, partagent en bavardant leur repas avant de reprendre la récolte des olives ; déjà des bâches entières en sont remplies sous l’œil impavides des baudets qui devront les transporter. A contempler ainsi le spectacle qu’offre cette île paisible, un sentiment d’harmonie m’envahit. Je doute fort que les milliers de touristes qui déferlent ici, en saison, le comprennent, mais nous sommes heureux d’être partis si tard en automne et d’être ainsi récompensés. Trop d’émotions épuisent, aussi, fourbus, nous  rentrons pour la sieste. Ensuite, un cocktail sur le port et il ne restera plus qu’à essayer cette taberna que nous avons déniché dans une toute petite rue, une de plus. J’aime bien la vie dans les îles !

Nous partons ce matin directement vers le sommet de l’île pour arriver au monastère de St Elias avant l’heure fatidique de la sieste. La pente est rude mais les pins nous offrent des vues sur la côte et le port de plus en plus belles au fur et à mesure que nous nous élevons. Très vite la montagne est vide et les arbres disparaissent pour laisser la place à la broussaille et à une terre rude recouverte de grosses pierres. Depuis longtemps les hommes se sont échinés à en faire des murets, peine perdue la pierre est la maîtresse des lieux, pourtant un bruit s’insinue sur cette lande verticale, ce sont les sonnailles d’un troupeau ponctuées par les appels du berger, celui-ci tout en moustaches passe à grand pas, nous saluant tout en continuant son tête à tête avec son téléphone portable ; ses chèvres le suivent non sans nous dévisager, inquiètes de notre présence incongrue. Enfin, un tout petit peu avant d’atteindre les nuages, le monastère enfin. Une grande cour de murs blanchis entoure une petite église de mêmes murs et nous abrite du vent un peu frisquet. Dans un coin, une grande et grosse cloche git à terre, image qui me flanque un peu le bourdon (j’ai osé), mais visiblement les moines ont entamé la construction d’un clocher pour lui rendre sa dignité. Exceptionnellement je ne dirai rien de désagréable sur ces gens d’église, je ne peux pas car j’ai la bouche pleine d’un loukoum, au miel, délicieux offert par ces saints hommes, qui pour une fois pratiquent le fameux : « il vaut mieux donner que recevoir ». En effet, eau fraîche et boite de loukoums attendent, à l’entrée, le visiteur qui a fait l’effort de se rapprocher du ciel.

Retour à la ville par un chemin détourné qui nous donnera l’occasion de faire toutes les ruelles de la ville en partant du haut. Que de la descente pour une fois, une façon de rentabiliser notre grimpette. Ici aussi, comme à Poros, balade magique dans un tableau vivant sans cesse renouvelé à chaque coin de rue. Un plaisir rare à déguster, en gourmand, en le laissant fondre comme les loukoums de St Elias. Et vous l’aurez deviné, nous rentrerons à temps pour la sieste. Malgré tous les problèmes qui s’accumulent sur ce beau pays, je me ferai bien naturaliser ; euros contre siestes pourrait être la base d’un accord commercial avec ce pays. Mais je doute que ce bon Papandréou qui va demain se faire tirer les oreilles au G20 à Cannes y pense. Nous ne parlons pas trop politique avec les grecs, seulement des petites phrases qui nous ont permis de comprendre que les grecs sont profondément européens, mais qu’ils risquent de dire non à un éventuellement référendum, non pas à l’Europe mais à leur dirigeant, honni et détesté, (on a déjà vu ça ailleurs). En fait les grecs sont en colère, non pas contre l’Europe mais contre leurs propres dirigeants, passés et présents, qui n’ont pas le courage de faire ce qu’il faut et qui leur mentent pour cacher la situation réelle ; c’est un sentiment très partagé ici. Malheureusement, le pays est au fond de l’impasse et les grecs le savent bien.

Retour à Athènes, via Le Pirée, pour quelques jours de visite histoire de retrouver le rythme d’un monde plus moderne et trépidant que celui de ces mules qui nous ont salués au départ de l’hydroglisseur. Pour ne pas trop nous dépayser, nous nous lançons dans les petites rues de Plaka au pied de l’Acropole. Des rues très touristiques certes mais aussi, des petites rues, à l’écart, comme dans un petit village avec des maisons colorées et des hordes de chats. La flânerie agréable se passe sous le regard tutélaire du Parthénon, là-haut sur la colline et que l’on retrouve en fil rouge, au détour d’une ruelle. Clo insiste pour aller voir la relève de la garde devant le Parlement, elle y tient beaucoup et c’est un plaisir qui ne coûte pas bien cher. Je découvre avec stupeur que ma femme connait tout des jupettes de ces soldats d’opérette, les evzones en grande tenue arborent la fustanelle. Ces petits jupes bouffantes ont exactement 462 plis représentant autant d’années de l’occupation turque (où va se nicher le côté vindicatif) ! Autrement, d’un simple point de vue technique, cette relève n’a rien de très martial mais me ferait plutôt penser à la parade nuptiale d’un héron cendré, ou d’un autre échassier du même acabit et encore j’ai plutôt l’impression d’être désobligeant avec ces bestioles aquatiques. Heureusement pour ces braves soldats le ridicule ne tue pas. Plus loin nous croisons les escadrons de CRS grecs car ce soir il y a manif devant le parlement où Papandréou engage sa confiance, bien malmenée en fait. Mais ces péripéties ne changent pas grand-chose à la vie de la ville et n’ayant peu le goût des lacrymogènes nous cherchons une taverne dans un quartier tranquille, pas bien loin à vrai dire.

Ce matin, après avoir pris hier le pouls de la ville en nous promenant sans but, nous avons au contraire un programme précis. L’Acropole, « la cité haute », bien sûr, sera notre priorité et de préférence assez tôt pour mieux découvrir les lieux déjà malmenés par des grues et autres échafaudages. Malgré ces impondérables l’ensemble garde son aura avec les colonnes monumentales du Parthénon et sa puissance évocatrice. L’emplacement déjà est magique, cette colline, comme une île en pleine ville au milieu d’un océan d’habitations. On domine le monde sur cette acropole,  comme Zeus sur son olympe. L’ensemble des bâtiments sur ce plateau perché nous plonge dans cette antiquité berceau de notre civilisation ; la démocratie a poussé à l’ombre de ces pierres de marbre blanc, une plante fragile sur une terre si peu fertile mais une plante tenace. Quand les cars déferlent nous nous replions, à l’écart, au pied de la falaise où les monuments, les ruines plutôt, ne manquent pas, théâtres, sanctuaires… le tout constituant un gigantesque puzzle étalé au sol devant nous et dont la plupart des pièces auraient disparue. Une vision effarante que ces amas de pierres souvent informes mais méticuleusement rangées suivant des critères incompréhensibles, un cauchemar d’archéologue. Ne vaudrait-il pas mieux tout laisser en place et jeter l’éponge, oublier la reconstruction improbable, ranger les échafaudages et garder le romantisme inhérent à ces endroits privilégiés. Mettre de l’ordre à ce fatras est impossible, laissons le rêve agir et à cet égard, l’Olympion où l’on accède par la porte d’Hadrien me paraît beaucoup plus évocateur. Quelques colonnes gigantesques, mettant le Parthénon au rang d’une simple maquette restent seules sur un espace vide bordé par des arbres, l’une git renversée au sol, comme si la chute datait de la veille, le site est en l’état sans aucun aménagement mais une vague de nostalgie vous submerge comme un maelstrom mélancolique. Comme j’aimerais être Du Bellay avec ses poèmes sur la Rome antique. Et pourquoi s’acharner à faire renaître ce qui n’est plus, tout passe et le temps est maître des choses, notre agitation est celle de la mouche du coche. La Grèce n’a pas besoin de l’arrogance technologique et paperassière du monde moderne pour être éternelle. Laissons une part au rêve. De toute façon, on ne pourra jamais reconstruire tout, les meilleures pièces ont été pillées au fil des années par les grandes nations coloniales et  guerrières, dont la France, qui refusent de les rendre comme le British Muséum s’agissant plus précisément du Parthénon. Mais également les entrepreneurs grecs et les fours à chaux locaux ont participé largement à cette dégradation et quand on voit le peu qui reste, mais un peu tellement grandiose, force est de rester pantois en imaginant l’état originel.

A cet égard, le nouveau musée de l’Acropole réalise l’exploit de mettre en valeur ces restes d’une façon impressionnante. Un mauvais esprit dirait que c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale. Un musée à voir donc pour sa conception originale, la beauté de ses salles, son plancher de verre transparent donnant à voir, d’une façon vertigineuse, l’état des fouilles sous le musée même, mais, malheureusement au niveau des pièces, on reste sur sa fin : rien de grandiose en rapport avec le site. Beaucoup de moulages, des pièces à l’étranger et beaucoup de « blancs » pour remettre en perspective les éléments retrouvés.

A cet égard, Le Musée National d’Archéologie est bien plus intéressant même si la présentation est plus veillotte que celui de l’Acropole. Nous ne le découvrirons que le lendemain car c’est un pavé énorme qu’il faut un moment pour digérer. En ce dimanche de novembre l’entrée est gratuite, une bonne chose car les Athéniens donnent l’impression de vouloir rembourser la dette de leur pays rien qu’avec les entrées des différents monuments de la ville. Un gros effort de ma part pour enchaîner deux musées, moi qui ne suit pas très demandeur de ce genre de choses mais difficile à contourner et finalement assez attractif. Dès l’entrée le masque d’or d’Agamemnon m’hypnotise, un masque hiératique ayant traversé le temps pour me saluer ; un symbole aussi car nous aurons commencé le voyage avec l’emballage, si je puis dire en parlant d’un tombeau, du Trésor des Atrée à Mycènes et le voilà devant nous pour saluer notre départ. Une chance aussi car en matière de pièces exceptionnelles, ce trésor est l’une des rares du Musée et en se remémorant des œuvres représentatives de l’art grec comme la Victoire de Samothrace ou la Vénus de Milo, il faut bien reconnaître qu’à Paris et à Londres, l’antiquité grecque est mieux fournie qu’ici.

Pour nous aérer la tête et les jambes, nous nous lançons ensuite dans l’escalade du mont Lycabete, grimpée rude, même sous le soleil de novembre. Mais la vue est saisissante, avec le Parthénon se détachant en ombre dans le reflet du soleil sur la mer Egée. Et cette ville tentaculaire bordée de montagnes qui nous entoure, cette métropole si effervescente et si tranquille pourtant, procure une vision inoubliable ! Tellement que nous y retournerons plus tard à la nuit pour nous en imprégner complétement. Après le soleil, les projecteurs mettent en valeur le Parthénon, encore lui. Clo, exceptionnellement, n’a pas pris son appareil photo pour cette balade nocturne, mais, nul doute, qu’elle en gardera l’image ancrée en elle. Athènes est une belle ville et Athènes la nuit est une belle qui se pare de multiples bijoux pour mieux nous séduire, le principal étant ce diadème présenté sur un plateau de lumière, ce Parthénon, issu , lui, de la nuit des temps.

Nouvelle grande journée de marche, la dernière du voyage, à parcourir Athènes, ses monuments et ses quartiers. Le marché central d’abord à Omonia, avec ses étalages de poissons et de viandes, couleurs, odeurs et tumulte des vendeurs à la clef. Les Halles de Paris avant de déménager à Rungis, une pagaille bien ordonnée en fait. Puis par les petites rues, nous rejoignons l’Agora, où se déroulait l’activité de l’ancienne Athènes. Les monuments, encore une fois, sont vraiment très en ruines, excepté le temple d’Ephaïstos, très bien conservé et de fort belle apparence. Néanmoins, l’ensemble dégage une belle harmonie dont la végétation abondante est responsable. Les archéologues, sans doute un peu déprimés par les vides importants de ce vaste espace avaient décidé de planter pour orner ou pour cacher la misère. L’effet aujourd’hui est gagnant et la visite de l’Agora, où l’on découvre, colonnes et statues au détour d’une allée ou d’un bosquet me plait ; du romantisme à la pelle. Car vous l’aurez remarqué je suis plus attiré par cet aspect des visites que par la datation de monuments, par leur nom et leur histoire. Pourtant, ici je fais un effort pour joindre les deux aspects, en effet, nous sommes dans le berceau de la démocratie ; se pencher sur le bébé s’impose. Je vais essayer de la faire courte aussi. Là le Bouléteurion, dont il ne reste que les fondations carrées, abritait 500 bouleutes nommés par tirage au sort parmi les citoyens et pour un an, un appareil avec des boules blanches et noires faisant le tri. Ces gens préparaient des textes de lois et autres décrets soumis à l’assemblée du peuple qui elle se tenait sur la Pnyx (qui veut dire « serré » car de 12 à 15 000 personnes s’y pressaient) ou un quorum de 6 000 personnes était nécessaires pour le vote. Ensuite le Tholos (des fondations rondes ici) où 50 prytanes avaient en charge l’administration du tout. Ceux-ci étaient choisis parmi les 500 Bouleutes et représentaient aussi les 10 tribus d’Athènes et leur fonction durait 36 jours (un an divisé par 10 tribus) et chaque jour l’un d’eux était nommé et devenait ainsi, pour 24 heures, le chef de l’état athénien. A méditer. Et afin d’éviter absolument l’emprise trop forte de telle ou telle personne, chaque année l’assemblée votait pour exiler temporairement (10 ans), celui qui faisait de l’ombre. Elimination annuelle obligatoire où chaque citoyen marquait sur un bout de terre cuite (des ostrakas d’où le terme ostracisme) le nom de l’heureux gagnant. A méditer encore plus, voire avec jubilation. Nous avons eu un politique qui s’est ostracisé tout seul à l’île de Ré, mais il devrait bien y en avoir d’autres que l’on pourrait envoyer ailleurs. Non ? En Cherchant bien ?  Il y a aussi pas mal d’autres petites choses assez démocratiques à découvrir mais je vous laisse acheter un peu de littérature là-dessus afin que vous vous rendiez compte tout ce que l’on a perdu dans ce sens-là. Sommes-nous toujours en démocratie ? Je laisse filer les boules et c’est une noire qui sort. Oligarchie ? Ah une boule blanche !

S’agissant du dernier jour, nous nous faisons une indigestion de ruines pour ne pas avoir de regrets pour le retour. Le cimetière des kéramikos, l’agora romaine avec son intéressante tour des vents, la bibliothèque d’Hadrien… N’en jetez plus. Encore une colline, à Filopapou, pour s’aérer et emporter une dernière vision de ce Parthénon sur son rocher au milieu des pins, vu sous cet angle. Puis le retour par le quartier de Thissio envahi par la branchitude, ensuite Monastikari et son marché aux puces, puis à nouveau les rues plus cosmopolites d’Omonia et nous finirons notre mois en Grèce dans une taverne d’Exarchia où se trouve notre hôtel. Un mois où nous aurons découvert les visages si multiples et passionnants de ce pays. Paysages, ruines, monuments, la mer avec ses îles, ruines, montagnes, temples et basiliques, ruines encore, mais surtout et partout ces grecs si vivants et si ouverts. Toujours nous aurons été accueillis à bras ouverts alors que par mail nous recevions des inquiétudes suite aux infos véhiculées par le prisme déformant de la TV sur les évènements politiques et manifs en cours (comme s’il n’y avait jamais de manifs à Paris).

La Grèce, un si beau pays quand les touristes sont presque tous partis et que le soleil, lui, s’attarde. C’est à nous maintenant de mettre un point final à notre visite, ou plutôt un point-virgule, pour reprendre le voyage très bientôt, nous l’espérons. Nous partirons comblés avec le plein d’images et de découvertes dans la Grèce d’hier mais aussi celle d’aujourd’hui. Acropolis adieu !

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